Le calvaire des stagaires au Cameroun
Récemment, un jeune confrère de 24 ans est décédé. Diplômé en journalisme, il était néanmoins stagiaire à la rédaction du Poste national de la radio-télévision d’Etat (CRTV) depuis un an. Il a été emporté par un AVC. Personne ne comprend ce qui s’est passé. Le 14 août 2013, il a été foudroyé sans raison apparente. Qu’est-ce qui peut expliquer cet accident ? Pas question de faire un raccourci. Mais à l’occasion de son décès, l’ensemble de la rédaction du Poste national a salué sa mémoire non pas en tant qu’employé de la CRTV mais c’était «la voix de Dimanche Midi », le magazine phare de la direction de l’information radio de l’Office camerounais de radio-télévision. Les superlatifs résumant son talent ont afflué lors de sa veillée funèbre. «C’était un vrai talent» ! Mais pourquoi le talent n’a-t-il pas été titularisé depuis un an ? Quelles peuvent être les raisons professionnelles, d’égo, de prise en charge personnelle qui l’ont stressées au point d’être victime de l’accident dont nous venons de parler ?
La CRTV, c’est connu, n’embauche plus officiellement depuis de nombreuses années. Mais les jeunes professionnels fascinés par les voix qu’ils entendent depuis leur tendre enfance veulent les côtoyer au cours de leur formation. Par ailleurs dans la rédaction, les journalistes ne manquent pas de confier, non sans perfidie, aux stagiaires (ou aux professionnels fraîchement sortis de l’école) qu’ils ont une chance d’être retenus définitivement s’ils persistent dans l’effort. Et voilà l’étudiant qui se plie en quatre pour satisfaire les moindres désirs de ses «encadreurs». En plus du café rituel qu’il doit servir au premier reporter venu, c’est lui qui est préposé à la réalisation du journal du matin. Il doit être là avant le présentateur vers 04h30. C’est toujours lui qui sera là le soir pour la réalisation du fameux 20h. Donc venu avant tout le monde, il rentre après tout le monde. Combien doit-il gagner ? Normalement la moitié du salaire de base d’un journaliste BAC+3. Un peu moins de 75 000 francs (120 euros). Mais ici, pas question. Il n’aura rien. Pendant un an ! Il y a de quoi pousser un jeune homme à bout.
Pas d’emploi
Le malheur des stagiaires qui finissent par convaincre leur hiérarchie qu’ils sont aptes est qu’ils sont transformés en Jack-of-all-trade. Ils sont soumis à des horaires, aux pressions et aux moqueries les plus acerbes de la part des dirigeants ou des autres employés. S’il est établi que les employés se doivent le respect mutuel, pas question pour le stagiaire d’en bénéficier. Tout le monde peut lui crier dessus impunément.
Malheur au stagiaire qui parle d’emploi, de contrat, de salaire. On s’étonne. Pour qui il se prend celui-là, maugrée-t-on. Il n’est pas patient. Il n’ira pas loin. Pourtant tout le monde lui reconnaît un «talent certain», de la sagacité et de la perspicacité. Ce qui est vrai pour la rédaction de la CRTV est vrai pour l’ensemble de la presse camerounaise. Les stagiaires sont exploités. Et ils n’ont aucun moyen de recours. A-t-on jamais vu une grève de stagiaires prospérer ?
Je discutais récemment avec un «chef d’entreprise» de presse qui veut lancer un quotidien. Dans son business-plan, il prévoie gaillardement des places permanentes… pour les stagiaires. «Les jeunes qui sortent de l’Esstic, de Siantou… là. Ils n’ont pas l’expérience des quotidiens» raisonne-t-il toute honte bue. Ceux-là ne seront jamais recrutés.
Je ne sais pas à quoi sert un blog si ce n’est pour dénoncer. Je suis contre la manie de la presse camerounaise à user des stagiaires comme du bétail. J’ai fait partie de cette catégorie socioprofessionnelle pendant 07 longs mois, sans aucun radis mais sonné, interpellé, critiqué et humilié. Je ne sais pas si je suis sorti de l’auberge.
Responsabilité
Donnez une chance aux jeunes si vous pouvez, messieurs les patrons de presse. Ne les utilisez pas comme des machines à produire de l’information. Vous transformerez les professionnels hésitants en journalistes corrompus et aigris. Ces jeunes que vous condamnez aujourd’hui à couvrir les cérémonies où on «paie le taxi à la presse» deviendront bientôt des journalistes mendiants par habitude même quand la nécessité aura disparue.
Les autorités sont aussi responsables. Abordé par hasard dans une salle d’audience sur la précarité des jeunes dans les salles de rédaction, le ministre du Travail a fait une promesse d’une rare vacuité. «Quand je vais m’intéresser à la presse… ». Oui monsieur le ministre continuez. Et puis rien. Quand vous allez vous intéresser à la presse que direz-vous pour réconforter ceux qui n’en pouvant plus d’être stagiaires ont préféré partir ou mourir ? Et ceux qui ayant d’autres talents ont préféré abandonnez le journalisme, comment allez-vous les récupérer ? Pensez à la détresse des jeunes gens, à la déception des familles qui doivent héberger des grands garçons et des grandes filles formés mais dénués de la moindre considération. Pensez à la vie qu’ils doivent avoir dans la société. Une vie de stagiaire, avec des badges de stagiaires qui attirent les regards condescendants et qui finissent par vous castrer un talent.
Je ne suis pas un médecin légiste mais l’AVC de ce jeune confrère interpelle ceux qui l’ont encouragé à travailler comme un dingue pour rien. Ceux qui le narguaient avec des mots gentils sur l’éthique professionnelle alors qu’ils ne transigent pas eux-mêmes sur leurs salaires et leurs autres revenus. Si la presse savait faire son propre mea culpa peut-être, cette mort serait-elle un exemple pour que cela n’arrive plus. Malheureusement tout le monde s’arrange à ne pas évoquer cet aspect des faits. C’est dommage !
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