Le fossé de mon quartier tue

17 mai 2014

Le fossé de mon quartier tue

Non, je n’exagère pas. Il y a un vrai fossé dans mon quartier. Il est plus que dangereux.

Fossé avec un pont en bois blanc.
C’est fou, les endroits où on rentre se coucher le soir ! (c) williambayiha

 

 

Avez-vous jamais vu un fossé de votre vie ?Il y a plein de choses dont on parle mais dont on ne sait rien. Un fossé. Si vous me rendez visite, vous en verrez un. Le trou qui serpente mon quartier à Yaoundé est comme ces montagnes qu’on ne remarque plus tellement elles font partie du paysage. Il est comme la forêt. Tant qu’un mort n’y est pas revenu, tout le monde feint d’ignorer qu’il s’agit d’un lieu hostile à l’homme. Le fossé de chez moi est comme les vestiges d’une ville abandonnée à elle-même avec ses rats et ses ordures qui fermentent à ciel ouvert. C’est un accident géologique crée par l’urbanisation pour-faire-beau. Pour bien se figurer de quoi je parle, imaginez qu’il s’agit d’un fossé qui tue. Sept mètres de profondeur par endroit, des ponts branlant en bois blanc, des taudis à ras bord du monstre. Et quand il pleut, un torrent puissant qui draine tous les péchés du monde. C’est en regardant cette eau boueuse que je me suis figuré ce que sera le jugement dernier. L’odeur qui monte des ordures qui se bousculent ne donne même pas envie de vomir. Je n’ose pas penser à tout ce que j’ai vu défiler dans ce boulevard des abysses. C’est fou, les endroits où on rentre se coucher le soir ! En écrivant ces lignes je frissonne. Brrrrrr Seigneur !

Ce fossé tue au sens propre pourtant personne n’y est déjà formellement décédé. Mais ce fossé tue quand même. Contrairement à ce que l’on croit, beaucoup de gens se cachent pour mourir. On renie les causes immédiates de la mort parce qu’on va les chercher au village, repère par excellence des sorciers mangeurs d’âme. Non messieurs. Ces gens qui meurent de mort subite au quartier, c’est le fossé qui les tue à petit feu.

Merveille et Ariane, deux fillettes à peine adolescentes qui marchent avec cet air amusant et comique. Ce n’est pas une mode, elles y ont perdu leurs jambes. L’une marche clopin-clopant de la jambe gauche, l’autre fait pareil de la droite. Elles sont devenues si moches singulières qu’on rit déjà quand on les voit arriver de loin. Avant je souriais aussi.

Franchement, elles font pitié.

Toutes deux ont glissé un jour, chacune à son tour, puis elles ont crié. Le quartier s’est rassemblé. Le terrible fossé venait de leur volé la beauté…

Je réitère que le fossé de mon quartier tue.

Combien d’entre mes voisins se sont-ils cachés pour mourir ? Paludisme, tétanos, pneumonie. J’en ai marre de ce fossé. Et ça date.

En 2009, j’ai essayé de me mobiliser. La jeunesse, l’université et la télé font des trucs. On devrait nous désintoxiquer à un certain âge. Je voulais monter une pétition pour alerter les autorités sur ce fossé que j’abhorre. Certaines maisons ont déjà été englouties par la gourmandise de l’hydre dont les têtes et le corps se multiplient au fil des saisons de pluie. C’est vers ses victimes que je me suis d’abord dirigé. Mon militantisme a été refroidi par une maman.

En fait, je ne sais pas si elle est une grand-mère ou une maman.  Elle semble si jeune quand on la regarde sous l’angle de la vieillesse et si vieille si on la prend pour une dame dans la quarantaine.

Bref, elle m’a fait remarquer que si on alertait les autorités municipales, elles en prendraient prétexte pour démolir sa modeste maison. Une maison en terre battue chichement revêtue d’une mince couche de ciment. Cette maison vaincue par le temps est tout ce qui lui reste. Elle aimerait bien aller ailleurs avec ses cinq enfants. Cependant, elle sait pertinemment que cela n’arrivera pas demain. Quatre ans après ma visite, il ne lui reste plus que deux pièces. Sa chambre à coucher et le séjour. Je l’ai revue ce soir assise sur un tout petit banc devant ce logis en équilibre précaire. Pourquoi sourit cette dame ? Les soirs de pluie, elle prie Dieu pour être éveillée pendant que d’autres prient pour chercher le sommeil. Le fossé lui a déjà pris sa vie, mine de rien.

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Commentaires

Emile Bela
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C'est simplement dramatique!