Visiter Gorée et tenter de vivre après…
- Mon séjour Dakar m’a plus bouleversé qu’autre chose.
Je savais qu’en revenant du Sénégal, je ne serais plus un gars normal. Gorée. Je n’aurais pas dû y aller. Ses ruelles étroites m’étouffaient. Ces bâtisses d’un autre âge qui toisent l’Océan ont suscité en moi des sentiments de remords intenses. J’aurai pu me retrouver là si j’étais né il y a trois siècles ! vous rendez-vous compte ? J’aurais pu me retrouvé parmi les enfants ou les jeunes hommes qu’on forçait à s’accroupir dans les cachots des différentes maisons d’arrêt qui existaient dans la ville négrière. Voilà pourquoi surplace, je n’ai rien découvert. Rien dis-je. Même les lance-pierres et les chaînes rouillées exhibés d’une manière ostentatoire et maladroite. Même la mer que je traversais pour la première fois ne m’a pas impressionné. J’ai souvent pensé à la traversée tragique et difficile. J’ai trop souvent perçu les cris, les pleurs, les malheurs et les révoltes sanglantes dans les cales des navires. La nostalgie des endroits où je n’ai jamais été m’a repris à Gorée.

Avez-vous vu cette procession d’esclaves ? Et ces lavandières qui s’étaient habituées au spectacle de la traite. Les avez-vous entendues chanter au bord de l’Océan ? Je revois les navires, les coques en bois et les canons arriver au large. Ça y est doivent partir. La fraîcheur de la nuit. Oui, les nuits devaient être fraîches pour toutes ces personnes qui n’avaient qu’un simple cache-sexe pour tout vêtement. J’ai été à Gorée et j’ai senti la morsure du froid sur cette île aux esclaves. J’ai aussi ressentis la condescendance du regard. Je me suis senti nu. Peut-on crier dans cette ville où les touristes curieux de tout sont prêts à tout emprisonner dans leurs appareils photos ? Peut-on pleurer, se plaindre, accuser ? Peut-on s’arrêter un moment et prier les ancêtres morts qui ne sont pas morts ? Je ne pouvais rien écrire, rien pleurer au Sénégal. Trop de voyeurs.
J’ai eu envie de pleurer à Gorée. Mais un homme ne pleure pas en public. Il n’y a pas ici de murs de lamentations. Il faut se taire, visiter au pas de course la cellule des enfants et le cachot des récalcitrants qui pensaient qu’ils étaient des hommes. On vend des bijoux, de fleurs, des masques et des sourires. Voilà Gorée, lieu de mon pèlerinage. Je n’ai jamais pu pleurer à Gorée et ça me rend si triste. Oh que je suis triste loin de Gorée. Gorée sanctuaire de mon passé qui semble-t-il n’est pas encore totalement passé.
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