Belle… presque

12 juillet 2014

Belle… presque

À toutes les M. que j’aime

Elle était presque belle.
« S’il te plaît, reviens, ne te sauve pas ». (c) www.ambre-ebene.fr

C’était en 2006. Je venais d’obtenir mon baccalauréat avec une bonne mention. Pour me récompenser, mes parents me permirent de m’évader un peu de la petite ville côtière où je fréquentais le lycée. Je fus donc envoyé à Yaoundé auprès de mon grand-frère. Il s’agissait aussi pour moi de m’acclimater à la ville où je devais suivre très prochainement mes études supérieures. J’arrivai donc à Yaoundé en juillet ou peut-être en août je ne sais plus exactement. J’étais très content de retrouver la ville qui m’a autrefois vu courir dans tous les sens. Cette ville où l’odeur des grillades au bord des rues me rappelait les vents du crépuscule. Oui j’aimais Yaoundé en ce temps-là. Oh pas que je n’aime pas cette ville aujourd’hui. Ce que je veux dire c’est qu’à cette époque, les multiples collines de Yaoundé me fascinaient tellement.

Mais beaucoup de choses m’enchantaient alors. La philosophie à laquelle j’avais été initié, la découverte de l’égalité entre les hommes, le regard admiratif de mes parents, mes nouvelles amitiés avec ceux qui étaient naguère mes enseignants. Oui ! J’aimais la vie. Lorsque je me rappelle ces instants d’illumination, je regrette franchement mes dix-huit ans. L’âge où j’ai donné pour la première fois mon opinion dans un taxi sans être traité comme un enfant ; et c’était à Yaoundé. Sacré Yaoundé. Mais sacré Edéa aussi.

La ville d’où je venais ne m’avait pas laissé partir sans souvenir. Certes les jours sans vie de lycéens me revenaient sans cesse. Mais au-delà de ces jours chauves, j’avais appris à vivre et à supporter, à mourir et à me ressusciter… à aimer ou du moins à apprécier les filles. C’est à Édéa que j’ai appris à penser aux filles, à les regarder et à songer à la sensation qu’elles peuvent provoquer à un cœur courageux. C’est à Edéa que je suis devenu l’homme que je suis. Je suis peut-être honteux de le dire aux femmes qui me lisent. Je ne m’embarrassais pas de scrupules pour me rapprocher des filles qui me semblaient un peu belles. Toutes étaient l’objet de mon profond amour. Celle qui se considérait comme ma petite amie fut très désolée de retrouver une autre fille dans mes draps et me le signifia dans un flot de larmes. Ces larmes étaient autant de trophées qui pleuvaient. J’étais modeste et je souriais nonchalamment, très doucement. Les trophées pleuvaient de plus belle. J’étais cynique, mais cela me permettait d’être digne de moi-même. D’ailleurs je trouve que j’avais tout à fait raison. Les filles se privent-elles de nous faire des scènes pires ?

Je savais ce que je voulais quand je suis parti de cette petite ville. Le plus grand nombre de conquêtes. Je voulais collecter tous les trophées de l’université de Yaoundé, toutes les larmes d’Emombo, mon quartier ; je voulais additionner tous les bonheurs qui vous tendent les mains dans les yeux de chaque fille. Je voulais certes aussi me reposer de mon surmenage. Mais le meilleur moyen de se reposer n’a-t-il pas toujours été de s’occuper, de se distraire ?

J’arrivai donc à Yaoundé un soir, c’était même déjà la nuit. On m’embrassa, on me prépara un bain, on me félicita pour le bac, on m’amena manger chez Stam, on promit de me présenter à quelques connaissances (des filles bien entendues). Ces congés s’annonçaient décidément de bons augures.

Quelques jours se passèrent et on me présenta une voisine. J’eus vite fait de me lasser d’elle. On s’entendait parfaitement depuis le premier jour et tout allait bien, trop bien même. J’atteignis mes fins sans trop me poser de questions. Ça devenait franchement ennuyeux de nous entendre. On ne parlait qu’un seul langage. On n’avait qu’une seule histoire qu’on connaissait chacun par cœur, une histoire banale. Je veux dire qu’on s’emmerdait déjà ensemble deux semaines à peine après le début de notre histoire. J’étais devenu distant parce qu’elle m’envahissait de cet amour que je ne connais pas. Et bientôt ses pleurs me donnèrent quelques joies. Des trophées. Ce que je voulais c’était des compétitions à la hauteur de la ville que j’idolâtrais.

Je plains aujourd’hui encore son innocence

Mi-août, la pluie tombait en fines gouttes et les sentiers qui arpentent les quartiers de la ville aux sept collines devenaient glissants. Je sortais de moins en moins. Je passais de longues heures sur ma véranda un livre à la main. Des fois je sortais avec un stylo et une feuille pour griffonner quelques vers vides de sens, mais pleins de sentiments.  Ou bien je m’asseyais sur une chaise, les jambes et les bras en croix la tête baissée à ressasser quelque déception amoureuse. Quelques fois Zoukine, la fille qui m’emmerdait tantôt venait aussi partager ces instants de solitudes qui m’angoissaient.

– Comment peut-il pleuvoir alors que je dois encore découvrir la ville ?

– Dis donc comme tu es narcissique. Tu penses que le monde tourne autour de ta petite personne ?

Je levai le regard sur ce visage rond et pur que je n’aimais pas, que je n’aimais plus. Pourtant il y a quelques temps encore, je la trouvais formidable. Qu’a-t-il bien pu arriver ? Pourtant Zoukine était belle puisqu’elle était brune. Je plains aujourd’hui encore son innocence…

– Tu ne t’ennuies pas toi ? lui demandai-je pour dire quelque chose.

–  …

Répondit-elle ? Je ne le saurai jamais ! En lui posant la question, j’avais jeté un regard furtif là-haut au-delà de cette barrière-là qui dévoilait étrangement ses secrets aux regards indiscrets qui se trouvaient en contrebas. J’avais jeté un regard furtif disais-je, et j’avais vu un être sublime. Tiens, une seconde suffit pour découvrir la vérité, le centième d’une seconde suffit largement. Assis là avec cet être étrange dont je sentais la luxure m’envahir, je m’étais évadé avec une image insolente, fugace et pour cela même irrésistible. C’était une fille très belle. Je n’ai pas les mots voyez-vous !

Elle n’était pas très belle, elle était sublime. J’affirme que son visage, même vu de loin, n’avait pas un seul mot pour le qualifier. Si le terme « sublimissime » existe, ce n’est que pour mentir sur la candeur de cette silhouette qui commençait à me hanter. Elle me possédait, elle me télécontrôlait. Je pris l’habitude de me mettre sur la véranda pour me délecter à chaque fois de ce breuvage visuel. Je n’en parlais pas à mon frère qui comme d’habitude, aurait eu un petit sourire au coin en me faisant jurer de ne jamais tomber amoureux. Je souffrais un bienheureux martyr pour cette fille qui se montrait à présent chaque soir du haut de son balcon de fortune.

Chaque soir, je sortais m’assoir sur ma véranda les yeux tournés vers cette fille. J’avais trouvé le Nord. Je ne supportais plus les visites de courtoisie auxquelles Zoukine désespérée s’accrochait obstinément. Je la détestais chaque fois que j’entrevoyais sa silhouette svelte pointée au coin de la cour. Je savais que la fille qui là-bas au loin me souriait était celle qui me ferait accéder au Nirvana. Pour la première fois depuis que mon pucelage avait volé de ses propres ailes, j’aimais une fille sans la désirer. Mon grand-frère aurait ri c’est sûr ! je ne lui dirais rien. J’aimerais d’abord et puis on fera la publicité après.

Nos rendez-vous muets se multiplièrent d’une façon exponentielle. Elle me manquait toutes les demi-heures où je ne la voyais pas. Elle s’embellissait jour après jour. Moi, je faisais des efforts pour mieux me vêtir avant de sortir…m’assoir à la véranda. Mais mon grand-frère en vieux briscard ne fut pas dupe. Il se doutait bien que je tramais quelque chose ; mais quoi ? Et mes rencontres mi-virtuelles, mi-réelles continuèrent pendant un moment. Ma dulcinée, je pouvais me permettre de l’appeler ainsi, semblait si radieuse et si pure que je ne pus résister un soir d’en parler à mon frère. D’une manière figurée bien sûr.

Je parlai d’un ami qui disait aimer une fille sans nécessairement vouloir faire l’amour avec. Le résultat fut, sans surprise, que cet ami était un con comme on n’en trouve pas très souvent dans la caste de ceux qui ont trois membres inférieurs. Et les cons moi-même je ne les avais pas trop en considération. Je n’étais pas un con.

Le lendemain, je fus plus que présent au rendez-vous qui s’était négocié silencieusement depuis près de trois semaines. Ce jour-là, je décidai de laisser ma chaise à l’intérieur et de rester debout quelques instants. Pour la première fois de ma vie je tremblai à l’idée de rencontrer une femme. Ce caractère ne m’a pas encore abandonné jusqu’à présent. Cela m’a sans doute fait passer à côté de beaucoup d’opportunités. Mais je pense que c’est aussi ça la vie, ma putain de vie.

Ma peur s’était envolée

Ce soir-là, je n’insultais pas encore la vie. Elle coulait suave et me mettait toujours du côté de ceux qui ne doutent jamais, de ceux qui ne pleurent jamais ; de ceux qui regardent les autres comme des meubles de salon. Ce soir-là, mon cœur ne saignait pas encore de regrets, je n’avais jamais encore eu honte, je n’avais jamais eu l’impression qu’en humiliant l’autre, je m’éclabousserais davantage. En ce temps-là, j’étais un être suffisant, c’est-à-dire un homme asocial. Et j’en étais fier.

Je restai donc là sur ma véranda debout quelques instants. Je devais me décider à toucher du doigt l’objet de mes fantasmes tant fantasmés. Je me demandais si je devais y aller, le doute m’envahissait. Mon téléphone portable sonna. Je m’empressai pour répondre à un éventuel appel. C’était juste un bip, je déposai l’appareil dans ma poche. J’étais là depuis une trentaine de minutes et je n’osais lever les yeux vers ce regard qui scintillait, et qui souriait, et qui se livrait à moi, et qui se livrait à moi sans retenue. Personne ne pouvait se livrer à moi sans retenue et s’en sortir quitte m’entendis-je murmurer. Non je ne l’aime pas me réconfortai-je. L’amour est une marque de faiblesse. Or je ne suis pas un faible, je la verrai et comme toutes les autres, sa fleur fanera sous les dards de mon soleil.

Je me picotais les tempes pour avoir la confirmation que je vivais toujours. Il fallait que je fasse le mal pour que je me sente vivre, exister même si j’étais ma propre victime. Il commença à pleuvoir. Pas une grande adverse. Un petit crachin aux durs accents de nostalgie. Une pluie indissoluble qui semblait vouloir me hâter encore plus.

Je me dépêchai donc et j’arrivai devant le portail de la demeure qui abritait mes amours et mes peurs. Je sonnai. Plusieurs fois. Je décidai d’entrer. Le portail était ouvert, je poussai imprudemment le portillon et je me trouvai en face d’un escalier qui menait de toute évidence à l’arrière-cour. L’endroit même où la fille à la beauté indicible prenait rendez-vous chaque soir avec moi. Je m’approchai avec l’assurance d’un seigneur. Il faut savoir être impertinent parfois. Je me moquais éperdument de la présence de ses parents. Fort heureusement, personne ne semblait être là, sauf elle. Elle tournait le dos à l’escalier, le regard fixé vers ma véranda.

J’étais content de l’avoir devant mes yeux. Ma peur s’était envolée. J’accélérai le pas avant de me ressaisir brusquement.

« Non ! ce que je vois là ne peut pas être vrai. Ce n’est pas normal. C’est une illusion ! » me répétais-je. La belle fille que je convoitais sans désirer, puis que je commençais bien malgré moi à désirer, était infirme d’un pied. Je me retournais lentement pour qu’elle n’entende pas le bruit de mes pas. Trop tard, elle s’était retournée. Son visage qui m’avait encore lancé quelques flashs me considéra. Je me souviens de la mine qu’il avait ce visage déçu par tant d’espoirs placés en un amour que je rendais impossible. Ses yeux lançaient des étincelles. Non pas qu’elle fut furieuse, elle était trop belle pour laisser transparaître sa colère. Son teint de près était encore plus beau que vu de loin, elle était un fruit mûr qui luisait sur la face du soleil. Cependant, elle était infirme. Toute sa beauté s’en était trouvée corrompue.

J’interrompis mon mouvement. Je la reconsidérai à mon tour. Oui elle était vraiment belle. Mais infirme quand même. Timidement, elle me salua et osa esquisser un sourire. Je me retournai brusquement. Je courais presque. L’odeur de mon parfum embaumait l’air derrière moi. J’entendis cette enfant m’appeler, me dire « s’il te plaît reviens, ne te sauve pas ».

J’entendis sa voix se noyer dans les larmes. Je continuai ma fuite, sans me retourner, le regard vide, la tête aussi. J’entendis cette belle fille  s’écrouler de tout son corps, mais je décidai de me sauver en fermant cruellement le portillon à ma suite. J’étais sauvé !

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Commentaires

Nelson Deshommes
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ouff tu as vraiment beaucoup de courage frangin. j'ai vraiment peur pour toi, avec les lianes il faut toujours faire attention. les larmes de ces charmantes filles peuvent te causer beaucoup de problème â l'avenir.Car on recolte toujours ce qu'on a semé. mdrrr

William Bayiha
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Merci pour le conseil Nelson. Lol !

Julien
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Très intéressant à lire ; j'ai hâte de découvrir la suite !

William Bayiha
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Merci Julien. C'est encourageant.

Yves Tchakounte
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Bel article, beau billet William

William Bayiha
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Merci Tchakou ! C'est réconfortant.