Comment le Rwanda est-il devenu le danger n°1 de la RDC ?

Article : Comment le Rwanda est-il devenu le danger n°1 de la RDC ?
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3 août 2022

Comment le Rwanda est-il devenu le danger n°1 de la RDC ?

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Les États-Unis peuvent-ils apaiser les relations entre la République démocratique du Congo et le Rwanda ?
Le secrétaire d’État étatsunien est attendu dans les deux pays selon des informations du magazine français Jeune Afrique.

Washington assure que la visite d’Anthony Blinken est indépendante du contexte international. Il est cependant difficile de croire que l’administration Biden ne va pas tenter de proposer ses plans pour sortir des tensions ouvertes entre Kinshasa et Kigali.

Vous savez que la tension est subitement montée ces dernières semaines entre la RDC et le Rwanda. Kinshasa accuse Kigali de supporter le Mouvement du 23 mars plus connu comme le M23.

Le groupe rebelle a pris possession d’une ville congolaise frontalière avec le Rwanda le 13 juin dernier. La localité a été reprise par les Forces armées congolaises trois jours plus tard. Mais depuis, les combats entre l’armée congolaise et les groupes rebelles se poursuit.

Mais qu’est-ce qui justifie la présence du Rwanda en RDC ? Comment cette présence s’est-elle construite au fil des années ? Et pourquoi la population congolaise accuse-t-elle la communauté internationale d’être complice du Rwanda ?

Pour comprendre les raisons de la présence du Rwanda en République démocratique du Congo, il faut remonter au moins à l’année 1994 i.e. à la fin du génocide rwandais.

En juillet de cette année-là, 1,5 million de Hutus rwandais convergent vers la ville frontalière de Goma, fuyant les représailles des anciens rebelles tutsis, désormais au pouvoir à Kigali.

Ces réfugiés constituent alors, dans l’esprit de Paul Kagame, le réservoir des milices Interahamwe, des unités armées créées par le parti du président Juvénal Habyarimana.

Le pouvoir tutsi est convaincu d’une chose : ces Hutus chassés du pouvoir préparent une invasion du Rwanda pour prendre leur revanche. Il faut donc les combattre là où ils sont i.e. en territoire congolais.

Kinshasa, Kigali, Kampala

Mais pour quelle raison les pourchasser à l’Est du Congo et pas dans les autres pays voisins où certains Hutus rwandais se sont aussi réfugiés ?

Les rapports des Nations unies sont formels : le Rwanda veut faire main basse sur les richesses minières de l’Est de la RDC. En attestent les conclusions du rapport Mapping de 2010. Mais comment faire pour y parvenir ?

En ce milieu de la décennie 1990, la RDC qui s’appelle encore Zaïre vit des moments troubles.
Le pouvoir du maréchal Mobutu est déliquescent. Et l’afflux de réfugiés rwandais a rendu la situation chaotique à l’est du pays. La situation politique va se compliquer davantage avec la création de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre par Laurent-Désiré Kabila.

L’ancien combattant lumumbiste a une occasion unique de renverser le vieil autocrate. Mais même si Mobutu perd déjà la main, il reste encore puissant pour le seul Kabila. Paul Kagame du Rwanda et Yoweri Museveni de l’Ouganda se proposent de lui prêter main forte. Officiellement, le pouvoir rwandais veut régler son compte à Mobutu accusé de protéger les anciens barons hutus accusés de génocide. Pareil pour les Ougandais qui disent à l’époque soutenir les mêmes objectifs que les Rwandais.

Je vous explique pourquoi c’est logique plus tard dans cet épisode.

Dans le fond, Museveni a de vieux compte à régler avec Mobutu. Le président ougandais accuse aussi le maréchal de soutenir ses opposants, y compris les combattants de l’Armée de la résistance du Seigneur (ndlr :  mouvement de guérilla ayant débuté en 1986 en Afrique de l’Est).

Restons en 1996.

Soldats congolais ajustant leurs armes quelque part à l’est de la RDC (c) Auteur inconnu, 2001, CC.

Il faudrait tout un épisode entier pour comprendre comment Kabila Laurent Désiré, un ancien rebelle communiste et révolutionnaire, reconverti dans le commerce de l’or au Kenya, se retrouve à la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL).

Objectif : faire partir Mobutu

Des historiens tels que Mwayila Tshiyembe affirment que cette alliance hétéroclite de groupes rebelles congolais fut créée de toute pièce et animée par Kagame et Museveni. L’objectif premier est de protéger les Banyamulengue i.e. des populations tutsies originaires du Rwanda et installées à l’est de la RDC. L’AFDL vise à combattre les forces armées zaïroises et les hutus réfugiés au Zaïre et organisés autour du Rassemblement républicain pour la Démocratie au Rwanda.

Des hommes en provenance de l’Angola, du Zimbabwe et de l’Érythrée vont aussi se joindre à la mêlée.
Mais ces trois pays vont rapidement se retirer du théâtre congolais.

Toujours est-il que l’AFDL réussit à défaire ses adversaires et ouvre la voie de la capitale Kinshasa à Laurent-Désiré Kabila. L’opération dure d’octobre 1996 à juin 1997.

C’est simple. Ce fut une marche entre l’est de la RDC et la capitale Kinshasa. Dans sa progression à travers le pays, le nouvel homme fort est activement soutenu par le Rwanda et l’Ouganda.

L’alliance pousse Mobutu à la sortie.

Kabila se proclame président de la République démocratique du Congo le 17 mai 1997. Il gouverne avec ses alliés pendant les premières années de sa présidence.

Mais quels alliés encombrants !!!

Les soldats rwandais et ougandais sont accusés des pires atrocités sur les populations congolaises. Les tueries se multiplient. Kigali et Kampala continuent à parler de question de sécurité. Laurent-Désiré Kabila comprend qu’il est pris au piège. Il accuse ses anciens protecteurs de pillages.

Guerre Rwanda vs Ouganda en RDC

La confirmation de ces accusations est donnée à plusieurs reprises à travers des affrontements directs entre les armées rwandaises et ougandaises. L’objet de la discorde est toujours le contrôle des mines congolaises.

Les affrontements du 5 au 10 juin 2000 à Kisangani constituent le sommet de ces batailles entre les Rwandais et les Ougandais pour le contrôle des mines d’or congolaises. Les combats se déroulent en pleine agglomération. Les soldats tirent au mortier. Qu’importe ! Ils sont loin de chez eux.

En seulement six jours, près d’un millier de civils congolais sont tués. Un rapport de l’ONU précise :

« Les deux armées (rwandaise et ougandaise) ont également détruit plus de 400 résidences privées et gravement endommagé des biens publics et commerciaux, des lieux de culte, dont la cathédrale catholique Notre-Dame, des établissements consacrés à l’éducation et des établissements sanitaires, dont des hôpitaux ».

Rapport du Projet Mapping, août 2010

J’ai fait le vœu de vous parler de l’histoire récente de la présence rwandaise au Congo. Elle est inséparable de l’histoire de l’émergence de deux personnalités dans les Grands Lacs dans les années 1980 : Museveni et Kagame. Les deux hommes semblent aujourd’hui se vouer une haine viscérale. Ils ont pourtant travaillé ensemble à déstabiliser la sous-région de manière profonde.

Kagame a en effet été l’un des patrons des renseignements en Ouganda lors des premières années de pouvoir de Museveni. Il en était le directeur adjoint alors que Fred Rwigema, un autre Rwandais était le directeur.
Les deux compères doivent leur poste à leur implication dans les 7 années de rébellion qui ont conduit Yoweri Museveni au pouvoir en 1986. Comme eux plus de 10 % des rebelles ougandais étaient en réalité des réfugiés tutsis ayant fui le Rwanda depuis 1960.

Rwigema et Kagame perdent leur poste en Ouganda du fait de la pression des Ougandais. Il faut savoir que Museveni est un nationaliste radical. Et l’aile la plus dure de ses soutiens ne comprend pas comment des Rwandais peuvent occuper des positions aussi stratégiques au cœur de l’appareil de l’État ougandais.
Débarqués des services de renseignements, Kagame va obtenir une bourse pour se former dans une académie militaire aux États-Unis.

Protéger les Tutsis avant tout

Fred Rwigema lance et prend la tête du Front patriotique rwandais. Il est tué au front en 1990 obligeant Paul Kagame à revenir dans les grands lacs et à prendre la tête du mouvement.

Et c’est sous la direction de P. Kagame que le FPR (Front patriotique rwandais) va contribuer à faire glisser le Rwanda dans la tragédie d’un génocide. Le FPR est ouvertement un mouvement tutsi dont l’ennemi désigné est le régime en majorité hutue alors en poste au Rwanda. Même après avoir pris le pouvoir, Paul Kagame va faire de la protection des tutsis de la région leur axe politique majeur.

C’est au nom de cette politique pro-tutsi qu’ils entrent au Zaïre, aujourd’hui RDC, où se trouve une minorité d’anciens réfugiés tutsis appelés localement les Banyamulenges.

Après les événements de 1994, les centaines de milliers de Hutus qui fuient les représailles du nouveau gouvernement au Rwanda se déversent au Zaïre. Les affrontements avec les Banyamulenges sont nombreux et constituent un prétexte suffisant pour que Paul Kagame conçoivent le dessein de s’ingérer dans la politique intérieure de la RDC afin de protéger ses frères.

Mais est-ce que la protection des Tutsis congolais, des Banyamulenges ne fut pas justement pas un prétexte pour faire main basse sur les ressources de la RDC ? N’est-ce pas au contraire par pur opportunisme que les forces rwandaises ont profité de la situation déjà chaotique dans l’est de l’ancien Zaïre ?
Ne faut-il pas pointer un doigt accusateur sur les Congolais eux-mêmes ? En commençant par Joseph Désiré Kabila qui a fait entrer un loup dans la bergerie ; mais aussi en blâmant la gestion du pouvoir de Mobutu Sesse Seko ?

Agents de liaison civils à Bunia, RDC en juillet 2013. (c) Photo MONUSCO/ Myriam Asmani

Responsabilités partagées

Je refuse exprès d’évoquer le rôle trouble des Occidentaux.

Les États-Unis ont possiblement apporté leur soutien aux rebelles ougandais puis rwandais dans la sous-région. Ce soutien a commencé pendant au moins deux décennies qui ont précédé le génocide au Rwanda et l’invasion du Congo. L’Allemagne puis la Belgique sont comptables de l’exacerbation des tensions entre Hutus et Tutsis dans les Grands-Lacs lors de la période coloniale. Tandis que la France et la Grande Bretagne ont soutenu à bout de bras des régimes toujours plus violents dans les premières années de leur indépendance que ce soit au Burundi, au Congo, en Ouganda ou au Rwanda.

Au-delà de tout, les populations locales sont les principales victimes. Et elles sont aussi les principaux responsables. C’est en leur nom que tout ce sang est versé. Le citoyen lambda est celui qui nourri les préjugés sur les Hutus, sur les Tutsis, sur les Banyamulenges, sur les « Congolais se souche ». La société locale est aussi porteuse des préjugés et des tensions. Avant de les exploiter, le politicien émerge d’un corps social déjà préparé. Et même quand viendrait un messie, une société corrompue ne le verrait pas. Il y a même de fortes chances que le messie soit tué.

C’est le rôle de chacun dans les Grands-Lacs et plus globalement en Afrique de sortir des préjugés. Considérer l’autre Africain comme un frère, malgré les différences, est une responsabilité personnelle et collective. Tant qu’on sera en train de généraliser, nous serons fragiles et prompts à s’adonner à des massacres que d’autres exploiterons. C’est ainsi la réalité du monde.

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