De Mitterrand à Macron au Cameroun de Paul Biya

Article : De Mitterrand à Macron au Cameroun de Paul Biya
Crédit: Clker-Free-Vector-Images / Pixabay CC

De Mitterrand à Macron au Cameroun de Paul Biya

Ce n’est pas la première visite d’un président français à Yaoundé sous la présidence Biya.
Et ce n’est sans doute pas la plus solennelle. La première fois où Biya reçoit un chef de l’État français, en qualité de président de la République, c’était les 21 et 22 juin 1983.
Emmanuel Macron avait alors seulement 5 ans !

S’il s’agit de la première fois que Paul Biya reçoit un président français, c’est aussi la première fois où François Mitterrand se retrouve à Yaoundé depuis son élection en 1981.

Retour sur cette visite particulièrement politique de Mitterrand à Douala d’abord, à Yaoundé ensuite puis à Garoua où il est reçu par l’ancien président Ahmadou Ahidjo.

En juin 1983, Paul Biya est président du Cameroun depuis seulement neuf mois.

Plus important encore, ses relations avec son prédécesseur Ahmadou Ahidjo sont extrêmement tendues.
Trois jours avant l’arrivée de Mitterrand, Paul Biya a annoncé un remaniement ministériel où il écarte les proches d’Ahidjo.

Exit Guillaume Bwele à l’Information et à la Culture. Samuel Eboua perd son poste de ministre de l’Agriculture.
Ayissi Mvondo est déchargé de l’Administration territoriale. Sadou Daoudou perd le ministère de la Défense.
Eteme Oloua est remplacé au ministère de la Santé.

En tout six anciens protégés d’Ahidjo sont mis au placard.

Pour essayer de rapprocher Ahidjo et Biya, François Mitterrand va rencontrer le président Biya à Yaoundé, puis le président Ahidjo à Garoua avant de regagner Paris. Pas sûr que ces rencontres aient contribué à détendre le climat politique puisqu’on sait que moins d’un an plus tard, en avril 1984, Paul Biya échappe de justesse à un coup d’État.

Mais restons en 1983.

Paul Biya jouit du soutien actif de la classe politique et de la presse hexagonales. Contrairement à son prédécesseur, il est diplômé de l’université française et il est catholique.

Beaucoup d’observateurs affirment d’ailleurs que la visite de Mitterrand est un adoubement officiel. Une manière de confirmer la disgrâce dans laquelle serait tombée Ahidjo.

Idylle Yaoundé-Paris

En cette année 1983, la France n’a d’yeux que pour le Cameroun. Yaoundé devient le premier client d’Afrique francophone de Paris devant la Côte d’Ivoire. La France reste le premier bailleur d’aide et d’assistance militaire du pays. Mitterrand accepte en plus la finalisation de l’achat d’une escadrille d’Alpha-Jet destinée à être installée à la base de Garoua.

Au-delà des questions bilatérales Cameroun-France, Paul Biya et François Mitterrand évoquent aussi la situation politique dans les frontières immédiates du Cameroun. Et officiellement, ils sont d’accord sur tout.

D’abord le Tchad au Nord. Quand Mitterrand arrive au Cameroun en juin 1983, la situation sécuritaire au Tchad inquiète déjà. En cette journée du 22 juin 1983, Mitterrand est encore à Yaoundé. Le département d’État des États-Unis signale, dans une déclaration, des mouvements de troupes dans le nord du Tchad. Il s’agit des hommes de Goukeni Oueddei soutenus par le co-lo-nel Kadhafi.

Ils seront stoppés dans leur progression en août 1983 grâce à la France et aux États-Unis en soutien à Hissène Habré. Vous vous rappelez que Hissène Habré a été condamné à perpétuité en 2016 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Malheureusement, aucun de ses commanditaires internationaux n’a été inquiété ; même pas à titre de complice.

Passons. C’est une autre histoire.
 
Lors du passage de Mitterrand au Cameroun aussi, il évoque la situation du Nigeria avec le président Biya. Le Nigeria, à l’époque déjà, est secoué par des spasmes d’insécurité. Au Sud-est des groupes irrédentistes continuent d’émerger et déjà au Nord, commencent à se manifester des signes d’un extrémisme religieux.  
Enfin, la situation en Centrafrique reste extrêmement fragile depuis la destitution de l’empereur Bokassa Ier.

Du pareil au même

Quarante ans plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, on a l’impression d’avoir juste changé les acteurs.

Sur le plan purement économique, en 1983 comme aujourd’hui, la scène internationale est marquée par d’importants déséquilibres.

L’inflation est galopante un peu partout sur la planète.
 
Les pays producteurs de matières premières sont systématiquement perdants dans les échanges Nord-Sud, ou bien dépendants d’autres puissances étrangères parfois.
Mitterrand va dire combien il est chagriné par la spéculation qui touche par exemple le secteur du cacao et du café camerounais. Et dit se faire l’avocat des pays africains touchés par les jeux de spéculateurs.

Mais comme souvent avec le président socialiste, et globalement les présidents français, il y aura un grand écart entre le discours et les actes. On sait que tout au long de la présidence Mitterrand, la situation de déséquilibre va s’approfondir.

Le Cameroun est comme presque tous les pays producteurs de matières premières agricoles.
À ce titre, il va connaître des ajustements structurels et même à une dévaluation du franc CFA par le même François Mitterrand en 1994.

Les assurances de Mitterrand – nous avons vu que ce fut des mensonges, ne tombent pas du ciel.

Paul Biya se plaint auprès de son homologue du profond déséquilibre de la balance commerciale du Cameroun vis-à-vis de la France. Les Camerounais à l’époque achètent en premier les produits français, mais à l’inverse, les Français préfèrent d’autres marchés au marché camerounais.

Mitterrand fait au Cameroun, à l’époque, la promesse d’implanter une usine de liquéfaction de gaz à Kribi.
40 ans plus tard, le projet n’a jamais vu le jour.

Revenons au présent !

Emmanuel Macron en visite au Cameroun en cette mi-2022 est peut-être le dernier président français qui rendra visite à Paul Biya. Le contexte de sa visite pourrait donner l’impression que très peu de choses ont changé en 40 ans.

Questions actuelles

On parlait déjà de l’insécurité au Tchad, au Nigeria et en RCA en 1983. La situation économique mondiale était déjà tendue et la balance commerciale entre la France et le Cameroun était essentiellement en faveur de Paris.

Mais il ne faut pas croire que le Cameroun n’a pas changé en 40 ans de présidence Biya. A l’époque, à part les querelles Ahidjo-Biya, il n’y avait pas de partis d’opposition actifs au Cameroun.

Et aujourd’hui plus que jamais, il se pose, au Cameroun, la question de l’alternance. Elle est attendue comme l’un des sujets de discussion entre les présidents camerounais et français. Des leaders d’opposition ont d’ores et déjà dit qu’ils n’attendaient pas que la France joue les arbitres.

L’élection de Mitterrand en 1981 avait un peu atténué le sentiment anti-français au Cameroun.
Aujourd’hui pourtant, les différentes interventions de la France aux quatre coins de l’Afrique rendent le pouvoir français particulièrement impopulaire au Cameroun. Même si quelques entreprises françaises continuent à travailler au Cameroun, de nombreuses exercent avec de la difficulté ou quittent le pays.

Les médias français accusent souvent la Chine de pousser la France hors d’Afrique et particulièrement hors du Cameroun. Toujours est-il que la Chine a des intérêts grandissants en Afrique et entend bien les défendre. Dans les faits, la France s’est en général mise hors-jeu elle-même. À travers des tentatives d’ingérence dans les affaires internes du Cameroun, dans un soutien militaire tiède face aux menaces sécuritaires et à travers des enquêtes sur des biens mal acquis par exemple.

Partagez

Commentaires