La seconde

24 septembre 2014

La seconde

Comme je l’ai promis sur ce blog il y a quelques semaines, je me propose de publier les unes après les autres quelques unes des nouvelles que j’ai écrites entre 2008 et 2011. Celle-ci est tirée d’une histoire vraie.

Seconde
Non une seconde ce n’est pas beaucoup… (c) eartinteractif.fr

Les nuits sont devenues très longues. Je ne dors plus, je ne peux plus dormir. Quoi, un homme ! Je l’ai tué, moi qui en plus de vingt ans dans les forces de défenses camerounaises n’ai jamais osé tirer sur un délinquant. J’ai tué. C’était chez moi, dans la nuit. Je ne voulais pas, c’est vrai que je ne voulais pas le tuer. J’espérais seulement neutraliser cet imbécile. Mais la balle est partie seule. Et pan, il est tombé dans son sang, le salaud. Il l’a bien mérité même si je n’en suis pas fier. Il a râlé, il faisait des gestes saccadés. Il a même crié que je l’avais tué.

– Pourquoi tu me tues, a-t-il lancé en serrant les dents pour supporter les brûlures des balles. Je ne t’ai rien fais. Rien.

Comment ose-t-il seulement ? Si je vous raconte l’histoire vous comprendrez peut-être pourquoi j’ai tué un homme et pourquoi depuis, je ne dors plus. Temps de lecture : environ 5 minutes.

Il était 23h30 environ quand je suis arrivé devant le grand portail qui barre l’entrée de ma villa. J’ai klaxonné un moment, personne n’est venu ouvrir. A ce moment, je me suis demandé pourquoi je jouais au petit héros en refusant que quelques uns de mes éléments gardent ma demeure de jour comme de nuit. D’autres hauts gradés de l’armée en ont bien chez eux. Cela empêchera peut-être ma femme d’avoir à se lever dans la nuit quand je rentre tard.

Je guettai la fenêtre de ma chambre à travers la vitre baissée de mon auto. La lumière était éteinte. Ma femme à cette heure-là devait déjà dormir à points fermés. La pauvre travaillait souvent si dur. Vous savez comment sont les clients dans les aéroports camerounais. Ils demandent des renseignements même lorsqu’ils voient une plaque où tout est indiqué. Et ma femme qui était une très belle policière devait les affronter chaque jour pendant huit heures. Elle devait être très fatiguée. Je dois la laisser dormir, me dis-je.

Je descendis de la voiture et fis quelques pas pour voir si la lumière était allumée dans la chambre de ma nièce qui habitait chez nous. Elle était en terminale et restait si souvent éveillée que je me demandais où elle trouvait toute son énergie. La chambre était éclairée. Je l’appelais par son portable et comme prévu, elle était debout. Elle vint m’ouvrir. Sans se parler, nous nous séparâmes une fois arrivés dans la salle de séjour.

J’avais grand faim. Et ma journée, c’est un euphémisme, avait été très longue. J’avais en fait joué les prolongations. C’est en principe à dix-sept heures que je quittais mon bureau, dans le centre-ville. J’aimais sortir à cette heure malgré les embouteillages et la fumée des pots d’échappement qui me faisait tourner la tête. Ce que j’aimais, c’était de voir Douala en ébullition. Les petits commerçants qui étalaient leurs bibelots à même le trottoir, les jeunes filles en petites tenues qui profitaient de la lourdeur du climat pour ressembler aux stars américaines des clips musicaux. Et surtout, la bonne bière qui m’attendait, avec des copains tous les jeudis au Paradis d’Éden, un bar très cool pas très loin de mes services. Et nous étions un jeudi.

Je prenais paisiblement ma bière tout devisant quand mon téléphone portable se mit à sonner à tue-tête. Je le laissais sonner un moment parce que je croyais qu’il s’agissait d’une petite amie qui voulait me voir. Je n’étais disposé à voir personne, sauf mes amis, ma femme et mon fils, qui fêtait à peine ses cinq ans.  La sonnerie insista, c’était mes hommes qui étaient sur la piste d’un gang de malfrats qui sévissait sur les axes interurbains de la région du Littoral. Je m’excusais auprès de mes amis et appelais ma femme pour lui dire que je ne rentrerai peut-être pas. J’ai une opération, lui dis-je sans plus de détails. Ce n’était pas la première fois que je ne rentrasse pas. Mon job consistait à appréhender les bandits et les bandits n’opéraient que la nuit, ne serait-ce que pour les grands coups. Bien sûr, je profitais si souvent de cette couverture pour rencontrer une autre belle dame qui savait utiliser ses charmes. Passons. Ce soir, je devais vraiment travailler.

L’opération sur place était bien lancée. Je trouvais les hommes postés un peu partout autour du repaire de « coupeurs de route ». Nos informateurs étaient formels, les suspects avaient pris rendez-vous dans la clairière toute proche pour partager le butin d’un récent braquage. Tout indiquait que les informateurs savaient de quoi ils parlaient. D’abord, ils avaient infiltrés le gang depuis des mois, puis il y avait des traces matérielles de la présence régulière d’une demi-douzaine de personnes au lieu-dit. L’attente avait commencé dès sept heures du soir et parvenue à vingt trois heures quand un informateur infiltré nous rappela pour annuler le rendez-vous. On avait attendu et on avait vu la cachette, peut-être. En termes d’interpellation, on avait attendu pour rien. Je demandais donc à la trentaine d’hommes qui m’accompagnait de regagner ses pénates.

C’est comme ça qu’un homme parvient au plus profond de la nuit, juste avec une demie bouteille de bière et quelques arachides grillées, achetées au bord de la route, dans le ventre. Une fois chez moi, j’avais hâte de manger quelque chose de chaud. Ma femme était prévenante. Elle m’avait réservé un repas sur la table à manger dans la cuisine. L’heure était assez avancée mais les plats étaient encore tièdes. Tout habillé, je mangeai goulument en passant en revu mon agenda du lendemain. Je ne chômais pas. Je terminais mon repas avec un grand verre de jus de fruit. Il faut maintenant que je sieste avant de prendre un bain bien mérité, dis-je à mi-voix tout en affrontant la première marche de l’escalier.

Jouer à cache-cache

J’arrivais dans la chambre obscure en marchant sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller ma charmante épouse. Ma femme, je n’en ai pas encore parlé est très belle. Et je l’aime, quelque soit la gravité de ce qui s’est passé. Elle est brune comme un fuit mûr au soleil. Ses yeux sont deux veilleuses qui baignent dans une eau claire et fraîche. Quand elle vous jette un regard, ma femme, cela vous fait un double effet. D’abord c’est une décharge électrique qui vous glace les membres et vous interdit de bouger. C’est aussi cependant le roucoulement tendre et doux de deux yeux marron qui vous font remarquer que vous avez de la chance. Ma femme est une douche écossaise. Belle et sensuelle mais dure à la fois. Seul au monde j’ai pu la dompter. Au moins je supposais alors en entrant dans notre chambre à coucher.

La chambre était obscure et j’hésitai longtemps avant d’oser réveiller mon bébé. Il fallait pourtant que j’allume pour ne pas renverser les meubles qui encombreraient mon passage jusque dans la salle de bain. Et Dieu seul sait qu’un meuble renversé est plus à même de réveiller une femme qui dort qu’une lumière tendre et feutrée. Je fis la lumière en évitant même le tac de l’interrupteur et, quelle ne fut pas ma surprise de constater que le lit était vide. Ma femme n’était pas dans le lit. Je crus qu’elle me faisait une blague et qu’elle se cachait dans la penderie, dans la salle de bain, derrière la porte ou derrière les rideaux. Ce n’était pas son genre mais sait-on à quel moment on commence à redevenir enfant ? Ma femme n’était pas dans la chambre. Je m’empressai dans la chambre de mon fils, elle n’y était pas non plus. Bon Dieu. Mais où avait-elle pu passer. Je couru chez ma nièce qui persistait toujours dans ses lectures. Je lui demandai si sa belle-tante était sortie.

– Elle n’est pas sortie que je sache, me répondit-elle en levant à peine la tête de sa page. Puis avec humeur, elle me demanda si je n’avais pas vu sa voiture dans la cour. – Sûr que je l’avais vue en garant mon propre véhicule dans le garage.

Ce jeu de cache-cache absurde allait déjà trop loin et je commençai franchement à m’inquiéter. Je pris l’initiative d’appeler ma femme qui était supposée être dans la même maison que moi à minuit passé. Quelle folie ! Le téléphone sonnait dans notre chambre, au chevet du lit. Je m’énervai. Je fouillai toutes les pièces de la maison allant même jusqu’à ouvrir la malle arrière de sa voiture, de la mienne. Sans succès, nous nous étions déjà rendus à plus d’une heure du matin. Et je commençai déjà à me demander si ma femme ne s’était pas volatilisée. Je rentrai dans la chambre et m’assis sur le lit. Et pendant que j’ôtais mes souliers, je me rendis compte que je n’avais pas visité le magasin et la chambre d’ami. Je cherchai la clé de la chambre d’ami à l’angle gauche de la porte de ma chambre. Elle n’y était pas. Je me dirigeai avec fureur dans la chambre pour expliquer à cette gamine – elle est de quinze ans ma cadette – qu’il n’est pas sage de plaisanter avec son homme lorsqu’il rentre à minuit.

Comme prévu la chambre avait été ouverte. Ayant touché la poignée, je me rendis compte qu’elle était finement entrebâillée, imperceptiblement. Je la bousculai avec fracas et fis la lumière.

Oh rage !

Oh rage ! Une seconde pour ne plus rien voir, pour ne plus rien savoir, ne plus rien espérer, ne plus rien vouloir, ne plus rien craindre. Une seconde pour se demander pourquoi cela m’arrive t-il à moi ? Une seconde pas plus, pour se demander pourquoi ma femme me trompe-t-elle ? Une seconde pour se demander qu’est-ce qu’elle recherche chez cet énergumène-là ? Il ne suffit que d’une seconde pour qu’il sorte du drap, qu’il sorte tout nu. Il faut une seconde dis-je, une seconde pour qu’une femme, ma femme ; une seconde, oui une seule seconde pour qu’elle tire le drap sur elle, une seconde pour qu’une épouse  cache sa nudité à son mari, à moi. Il ne faut pas plus d’une seconde pour constater que celui qui me déshonore mange sur ma table avec moi tous les dimanches après-midi. Non une seconde ce n’est pas beaucoup mais c’est assez pour chercher un pistolet automatique dans l’étui, une seconde pour se souvenir qu’il est chargé. Une seconde pour mettre en joug l’amant qui me cocufie sous mon propre toit. Une malheureuse petite seconde parmi tant d’autres, tant d’autres secondes si heureuses qui existent sous le soleil, pour tuer un homme.

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Commentaires

Richard Folly
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William Bayiha, merci pour ce billet, qui traite d'un fait qui menace beaucoup de foyers. Le mariage au XXI siècle est un sujet délicat. Une seconde pour se demander mille "pourquoi ?" sans réponse : amour ? intérêt ? foi ? vocation ? affiliation ? besoin ? enfin, pourquoi le mariage ? "Il nous faut un surcroît d'âme pour tenir la route" disait Paul Valery. Personnellement, je pense vraiment qu'il ne faut jamais être surpris. C'est la surprise qui crée la déception. Quoi qu'il en soit, il est important de garder sa sérénité pour ne pas se compromettre... pleurez ! Pardonnez ! Tuez pas ! Une pensée intime aux foyers qui ont connu cette situation là : courage, tenez bon.

William Bayiha
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Merci Richard d'avoir pris le temps de lire ce modeste billet. Merci davantage pour l'analyse pertinente que tu fais.

signification
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très belle description .A lire ce texte on se plonge véritablement dans la scène

KONEWA Sonia
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Bonjour William
Très beau texte de lecture , j'ai apprécié la manière dont vous faites durer le suspense à la fin.
Hé! oui , la dépravation des mœurs est telle qu'aujourd'hui la fidélité est une denrée rare. C'est à croire que le sexe dont la raison d'être est de permettre la reproduction chez l'homme et la femme est devenu un véritable objet de plaisir. Et c'est triste de constater que cette manière de voir les choses se normalise. Pour moi l'acte sexuel n'est que l'aboutissement d'un processus d'échange mutuel de sentiments d'amour nés d'une relation d'amitié approfondie.
Cordialement

William Bayiha
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Merci Sonia.