Comores : le dernier coup d’État de Bob Denard

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Comores : le dernier coup d’État de Bob Denard

Nous allons brièvement évoquer quelques-uns d’entre eux. Je vous propose tout d’abord de faire un zoom, dans ce billet, sur son dernier coup d’éclat le 28 septembre 1995. Ce fut aux Comores.

Une nuit agitée à Moroni

Il est 3h45, le président Said Mohamed Djohar est réveillé par des coups de feu. Quelques temps après, son téléphone sonne. C’est le capitaine français de la garde présidentielle un certain Rubis qui l’appelle. Il l’informe que la quarantaine de soldats de la garde présidentielle est cernée. “Nous sommes attaqués et neutralisés”, lui souffle le français.

Pour en avoir le coeur net, le chef de l’État appelle le commandant adjoint de la garde présidentielle, un Comorien. Ce dernier est plus nuancé : “Nous sommes attaqués, confirme-t-il, mais nous sommes toujours en mesure de riposter et de nous défendre”. Le président Djohar lui demande d’appeler des renforts. Mais les bases alentours sont déjà aux mains des mercenaires. Le coup d’État est en marche et il va être une réussite. Ne serait-ce que dans les heures qui suivent.

Le chef de l’État attend maintenant dans sa chambre le sort que les putschistes lui réservent. Il a pris le soin de fermer la porte à double tour. La petite escouade de 5 hommes qui vient le cueillir l’ouvre pourtant sans forcer. Les assaillants ont des armes braqués sur le couple présidentiel. Said Mohamed Djohar vient de terminer sa prière. Il a le Coran à la main. En dévisageant ses agresseurs, il reconnaît un ou deux visages peints de noir.

Et au travers de sa démarche, réussit à deviner l’identité du leader de ce groupe d’individus téméraires. Il s’agit évidemment de Bob Denard.

Le fameux mercenaire français rassure le désormais ex-président des Comores. “Je ne suis pas venu pour vous tuer”, lui dit-il. L’homme d’État est conduit au camp militaire de Kandani tandis que son épouse est évacuée au domicile de l’une de ses filles.

Le récit de ce coup d’État est assommant de simplicité. Et il va donner lieu à des ramifications complexes et extrêmement graves pour l’image de la République française dans le monde.

Mais n’allons pas vite en besogne, voulez-vous. Revenons à Moroni, la capitale des Comores en ce 28 septembre 1995 quelques heures avant que le président Djohar ne soit tiré de son sommeil.

Un coup bien monté

Il est 1 heure ou 2 heure du matin. Quelque 35 hommes s’affairent dans les rues de la capitale. Il y a trois groupes en tout. Le premier a pour mission d’aller libérer des rebelles déjà emprisonnés pour une tentative de putsch en 1992. Il y parvient sans grande difficulté. Le deuxième groupe dirigé par Bob Denard doit s’emparer de Radio Comores. Une formalité. Quant au troisième et dernier groupe, son objectif était de prendre la présidence. Malgré quelques résistances, le putsch est une réussite sur toute la ligne.

Dans la foulée, le mercenaire français prend les rênes du pays. Il réorganise la garde présidentielle et place un homme lige, le capitaine Ayaina Combo à la tête d’un Comité militaire de transition. Ce capitaine revendique la responsabilité du coup d’État.

Personne n’y croit vraiment. Et pour cause.

La République française contrôle l’essentiel des services de la défense nationale des Comores. En commençant par la garde présidentielle. Et il est difficile d’expliquer comment une trentaine d’hommes sont capables de mettre en déroute tout un système géré par les services de renseignements français. C’est d’autant plus incompréhensible que le nom de Denard est bientôt cité.

Nous sommes en septembre 1995. En France, Jacques Chirac vient de prendre le pouvoir. À l’époque déjà, la refrain est bien rodé. Mettre fin aux relations de suzeraineté entre la France et ses anciennes possessions coloniales. Mettre fin à ce qu’on appelle communément aujourd’hui la françafrique. C’est bien simple. Le coup d’État de Bob Denard aux Comores est une bien mauvaise publicité pour les nouvelles autorités à Paris. Après l’avoir inspiré, il va falloir le défaire.

Une semaine après l’arrestation du président Saïd Mohamed Djohar, M. Chirac demande la mise sur pied d’un plan pour reprendre le contrôle de l’île. Nom de baptême de l’opération : “Code Azalée”. Une frégate avec 200 hommes arrivent dans l’Océan indien pour recueillir des informations.

La France pompier-pyromane ?

Dès le 5 octobre, le gouvernement français déploie 400 militaires français pour contenir le régime de Denard.

Ils parviennent à arrêter le mercenaire et ses hommes. Denard n’oppose aucune résistance ! Les soldats rapatrient la fine équipe en France. Bob Denard doit y faire face à la justice.

Et le président Djohar dans toute cette affaire ?

Eh bien, il ne retrouve pas son poste. Pendant un peu plus d’une semaine, il est le prisonnier (ou l’otage) du mercenaire et de ses amis. Paris va acter sa déportation de force à la Réunion. Il prend le chemin de l’exil avec l’un de ses fils. Le Premier ministre Caabi El Yachouroutou accepte de prendre le pouvoir à l’ambassade de France.

Pour ne citer que l’exemple de la garde présidentielle, des observateurs et des témoins de l’époque (en commençant par le président Djohar) ont indiqué qu’à elle seule, elle était capable de repousser les putschistes. Les hommes du capitaine Rubis était 40 contre 35 mercenaires.

Ces troupes d’élite comoriennes avaient pourtant à leur disposition des pistolets-mitrailleurs Beretta et Uzi, des revolvers 357 magnum et des fusils lance-grenades. Quant aux de Denard, n’avaient que des fusils à pompe de vieux kalachnikovs ou M-16 de « collection », achetés démilitarisés puis modifiés par leurs soins.

Jean-Claude Sanchez, l’un des lieutenants du mercenaire a écrit un livre de témoignages à charge contre la France officielle. Il l’accuse d’avoir laissé tomber le soldat Denard.

Bob Denard est même condamné en 2006 à cinq ans de prison. Mais cinq ans avec sursis en France !

L’échec de Denard en 1995 au Comores est due aux atermoiements du gouvernement français. C’est l’opinion de ses amis. Mais ce n’est pas sa première campagne foireuse. Le Marxiste Mathieu Kérékou au Bénin (anciennement Dahomey) parvint à le repousser avec succès dès janvier 1977. Quelques officiers nord-coréens de passage à Cotonou le jour du putsh ont proposé leurs service pour faire partie du comité chargé d’accueillir Denard. Une belle histoire à savoir.

Retrouvez les détails de ce vendredi de folie à Cotonou dans l’épisode de 1506, une histoire de l’Afrique intitulé Bob Denard et les coups d’État en Afrique.

NOTE SUR LA SÉRIE

L’Afrique a enregistré plus de 200 putschs et tentatives de putschs depuis les indépendances. Dans cette série de posts/podcasts, j’analyse différents pans de ces coups d’État dans l’histoire de l’Afrique. Les personnes impliquées – militaires mercenaires, instigateurs, les enjeux – opposition à la monarchie, divergences idéologiques, ou tout simplement le contexte sous-jacent à certains coups de force.

Prochain épisode – Le «complot du chat noir» contre Houphouet-Boigny

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