William Bayiha

Je n’aime pas la comptabilité

...derrière une pile de papier et de chiffres.Je n’aime pas les jeudis. Le jeudi est une journée morose, coincée dans le coeur de la semaine.

Aujourd’hui c’est jeudi et j’ai envie de me sauver par la fenêtre, d’escalader cette pile de papiers qui me fait face avec acharnement et de me retrouver à gambader dans les champs là-bas dans mon village. C’est souvent les jeudis que l’envie me prend de tout plaquer et de partir loin, de rentrer chez moi. Les jeudis, je rêve d’herbe coupée et du clapotis que font ces petites carpes dans les eaux claires de Hina, la petite rivière qui irrigue la patrie de mes grands-parents dans la Sanaga Maritime.

Seigneur ! J’aimerais tant être hors de ce bureau. Je n’arrive même plus à distinguer la couleur de la peinture sur les murs. Impossible de trouver une nature plus morte…

Je dessine des bonshommes sur le calendrier qui me sert de sous-main. Un calendrier de 2008 maltraité par les ratures de stylos récalcitrants. De toute façon, ce calendrier était déjà vieux d’un an quand je l’ai placé là. Ce jeudi, je suis sidéré que le temps passe si vite. J’ai l’impression de ne pas être à ma place, de participer à un opéra lyrique effrayant joué en gaulois, si tant il est vrai que le gaulois est la langue morte la plus inerte du monde.

Les jeudis, je n’arrive pas toujours à donner un sens à mon existence. Et parfois, je suis si triste ! Je repense souvent à mes années d’école, de collège. Je voulais devenir quelque chose d’autre qu’un clerc derrière une pile de papier et de chiffres. C’est vrai que je ne peux pas dire de manière autoritaire ce que j’aurai voulu être d’autre. Écrivain, journaliste, professeur, pilote ? Je ne sais toujours pas ce qui me passionnait le plus.

Mais autant que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu échapper à mon destin. Je m’appelle Jean-Paul et je suis devenu ce que je n’aurai jamais dû être : comptable.


Doit-on prier quand on vit en Afrique ?

Pour Pâques, inutile de rappeler à quel point la religion est omniprésente en Afrique. Mais j’ai assisté récemment à une discussion dans un autobus qui m’a profondément marquée.

La meilleure façon de remercier Dieu était de se retrousser les manches.
La meilleure façon de remercier Dieu était de se retrousser les manches.

C’était un dimanche blanc et chaud. Il était environ neuf heures. J’étais assis à l’arrière de ce bus bondé que je venais de prendre pour me rendre en ville. Souvent, il faut savoir se joindre à la foule . À côté de moi, il y avait une femme avec son nourrisson dont la peau était couverte de ces petits boutons qui envahissent le corps des enfants qui sont exposés à la chaleur intense et moites de nos villes côtières. Le bus venait une énième fois de s’arrêter.

Quelques personnes étaient sorties par la porte avant. Un nombre insignifiant au regard de la foule qui s’apprêtait à grimper dans le véhicule. Cette surcharge encouragea peut-être l’enfant à pleurer de plus belle.
Le bus s’était de nouveau ébranlé avec sa nouvelle cargaison. Les discussions avaient repris, en kikongo (dialecte). Je ne m’efforçais pas d’écouter. Ce serait peine perdu ! Je me contentais de regarder toutes ces joyeuses personnes s’époumoner dans une langue que je ne comprends pas. L’effort oratoire est à l’image d’une belle chanson. L’agencement des mots simples est noble même si on n’en comprend pas le sens.

Tout à coup, une voix lança : « Église » !

Ce fut comme un appel, la plupart des places assises commencèrent à se libérer. Les passagers se pressaient les uns contre les autres, debout, vers la sortie. Par déduction et au regard de la manière avec laquelle mes compagnons étaient habillés, je me dis le prochain arrêt devait être l’église. Alors que je menais cette réflexion oisive et peut-être même que je m’apprêtais à penser à autre chose, un homme s’esclaffa en prenant place sur un des sièges qui venaient tout juste d’être libérés. Jusque-là, je ne l’avais pas remarqué. C’était un petit monsieur tout à fait ordinaire qui riait en se tapant la cuisse. Il était vêtu d’un bleu de travail, d’un casque de chantier, de bottes assorties et riait en kikongo. Bientôt le rire se transforma en sermon.
Très tôt, il fut pris à partie par les autres passagers qui continuaient à se presser les uns contre les autres. Comme ils continuaient à parler sans que je ne comprenne de quoi ils discutaient, je ne sus pas trop quoi penser. Mais au moins, je prêtai attention à leurs discussions. Heureusement pour moi, le malheur de l’Afrique et de ses langues est qu’elles ne sont plus tout à fait ce qu’elles étaient : originales et dénuées de tout emprunt aux langues occidentales.

Avec des références en français comme « Dieu », « Jésus », « prière », « église » et « dimanche », je ne tardai pas à comprendre que l’objet de la discussion avait à voir avec la religion.

Notre homme qui discutait seul contre tous était visiblement poussé dans ses derniers retranchements. Il commençait à chercher ses mots en kikongo. Il vira au français. Et tout s’éclaircit pour moi, au moins c’est ce que je crus sur le moment. L’homme lançait de violentes diatribes contre l’Église catholique. À l’écouter, il était évident qu’il avait été nourri par quelque Mongo Béti enragé contre le catholicisme primaire ou par les romans à peine plus romancés de Ferdinand Léopold Oyono. Mais sa verve abondante et nourrie de tribun lui donnait cet air terrible de pasteur évangélique bercé par les sermons de Reinhard Bonke sur l’hérésie catholique et son idôlatrie dissimulée de la statue de Marie. Puisque nous sommes au Congo, je pensai aussi que cet homme en costume de chantier le dimanche matin pouvait être un lointain disciple de Kibangu !

Pour lui, l’Église catholique était l’instrument de néocolonialisme le plus abouti et l’instrument de l’assujettissement de l’Afrique.

Il s’étonnait que des personnes aptes et vigoureuses comme celles avec lesquelles il discutait se sentissent obligées de se rendre dans un lieu pour se faire dire ce qu’elles savent déjà. Quelqu’un lui répliqua qu’il était question de remercier Dieu pour tout ce qu’il avait accompli pendant la semaine. Une autre dame ajouta que seul un païen pouvait s’interroger sur le bien-fondé de se rendre à l’église le dimanche qui est quand même le jour du Seigneur !
Notre homme éclata de rire. De ce rire total qu’ont les personnes persuadées d’être du bon côté de l’histoire. « Mais non ! commença-t-il en réponse à la dame qui était maintenant plus occupée à chercher sa monnaie qu’à l’écouter, je ne suis pas païen, je crois en Dieu. Seulement, je ne pense pas que la meilleure façon de remercier Dieu c’est de venir chaque dimanche donner de l’argent au prêtre et à l’évêque ». Il développa en suggérant que le prêtre est un parasite qui vit au dépens de la communauté qu’il prétend encadrer en lui enseignant le culte du non-effort ! « Comment quelqu’un qui veut que vous travailliez vous demande de sacrifier une journée pour qu’il vienne vous bourrer le crâne avec des histoires qui ne vous concernent pas ? » fit-il semblant de s’interroger.
Il indiqua, en guise de réponse au premier interlocuteur, qu’à son avis, la meilleure façon de remercier Dieu était de se retrousser les manches et de transformer les ressources naturelles qu’il avait bien voulu mettre à disposition de ceux qui auraient les ressources de les exploiter ! Il disait ne pas comprendre comment quelqu’un peut aller prier Dieu pour qu’il lui donne à manger alors que Dieu lui a donné la forêt, d’immenses superficies de terres arables et la mer poissonneuse. C’est un non-sens !

Pour lui, aller à l’église pour prier était un signe de paresse.

Il accusait le prêtre et l’évêque de favoriser cela. « C’est forcément un Kinaguiste », me dis-je intérieurement ! Mais l’homme ne s’arrêta pas là. Il accusa tous ces chrétiens d’être extravertis et de croire que la rédemption leur viendrait de je-ne-sais-quel-ciel. Les pires, ricana-t-il avec cet air cynique, ce sont les Évangéliques !  Il insista qu’il était bel et bien croyant. Il considérait cependant que Dieu lui avait tout donné et qu’il ferait injure à Dieu s’il continuait à le harceler de prière et de salamalecs.
Pendant qu’il dissertait de la sorte et qu’on lui répondait, non sans humeur, qu’un jour, le Seigneur le visitera et qu’il finirait par comprendre, le bus arrivera à la station Église. Les 4/5e des passagers descendirent. Pour ne pas rester en compagnie de cet homme que je ne connaissais pas, et bien que je sois encore loin de ma destination, je descendis aussi du bus. La journée dehors était toujours aussi belle. Le reste du chemin je le fis à pied, malgré la poussière qui montait.


La Boko Haram’isation de la société camerounaise en marche

Les forces de défense et de sécurité jouent un rôle cardinal de protection des biens et de la personne du citoyen dans le contexte d’insécurité actuel. Une position que des responsables politiques tentent de manipuler avec plus ou moins de succès.

Cavaye
Le président de l’Assemblée nationale accuse son ex-garde du corps d' »actes de terrorisme ».

L’affaire qui oppose le président de l’Assemblée nationale Cavaye Yeguie Djibril à son garde du corps a tout d’un cas d’école de la tendance actuelle à tout assimiler, à tort ou à raison, aux actions terroristes de Boko Haram. Le capitaine Bouba Simala, dont les charges ont été requalifiées par le tribunal militaire en menaces simples, outrage à corps constitué et violation de consigne, a été accusé par la troisième personnalité de la République d’actes de terrorisme. Une manière peu élégante d’écarter un confident devenu encombrant, soutiennent des proches du capitaine déchu qui doit en tout cas répondre de ses actes supposés devant le juge militaire.

La Boko Haram’isation qui peut se définir comme des accusations proférées contre une personne ou un groupe de personnes d’être des agents du terrorisme possède une caractéristique principale : elle ne s’appuie sur aucun élément de preuve.

Et l’étendue du phénomène est importante et complexe.

Il est en effet difficile d’établir la frontière exacte entre les mesures légitimes de sécurité et la mise à l’index gratuite de personnes avec pour unique objectif de résoudre rapidement un différend personnel avec les moyens de l’Etat en toute bonne conscience.

Les tentatives de jeter le bébé avec l’eau du bain se sont multipliées avec l’émergence de la méthode lâche des attentats-suicides opérés à Maroua et à Fotokol pendant le mois de juillet dernier. Les autorités municipales et administratives de Yaoundé ont lancé l’opération ville-propre dont les cibles-principales sont les enfants de la rue dont la situation n’a pas pu être régularisée pendant les dernières décennies. Il en est de même des récalcitrants de tout ordre dont les actions sont en priorité assimilées aux menées subversives des terroristes.

Au chapitre de la gestion de la chose publique, la Boko Haram’isation est en train de s’imposer comme une arme utilisée par des responsables malhonnêtes. Les prestataires de services et autres créanciers qui se montrent pressants pour que leurs factures soient réglées au plus vite se trouvent interdits de pénétrer dans l’enceinte de certaines administrations. On les soupçonnerait de lien avec les terroristes. Une accusation grave peut-être, mais qu’importe ? Le Cameroun c’est le Cameroun. Et ce n’est sans doute pas Boko Haram qui va y changer quelque chose.


Parce qu’il faut illustrer le tribalisme dans les médias

Le délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé – sorte de maire nommé – a conduit des déguerpissements dans certains bas-fonds de la ville. Une partie des victimes parle de tribalisme… Les médias non. Je crois que c’est à tort.

 

Affiche
Le collectif des Blogueurs camerounais a lancé une initiative de lutte contre le tribalisme il y a un an.

 

Quand je dis que les médias ne parlent pas des accusations de tribalisme, ce n’est pas vraiment exact puisque j’ai moi-même préparé un reportage sur la question. Et les pires critiques me sont venues de ma propre rédaction. L’article a été éjecté du journal du soir pour lequel il a été programmé. Pas de problème. Les raisons avancées par le pool édition tiennent en une phrase : sujet trop sensible et dureté du propos.

La discussion d’un point de vue éditorial est allée très loin. Malheureusement les arguments développés par mes contempteurs et moi n’ont pas pu porter puisque les échanges entre moi – basé à Yaoundé et eux – qui travaillent à Douala – se déroulaient via une ligne téléphonique difficile.

Si j’ai décidé de faire un billet, c’est parce que je n’ai pas été satisfait par ces échanges et souhaite ainsi donner mon point de vue sur le tribalisme dans les medias au Cameroun. Non pas forcement pour écrire comme d’autres avant moi que les medias sont des hérauts des purges tribales comme au Rwanda au milieu des années 1990, mais pour dire aussi que les medias sont une force de proposition contre l’émergence et la consolidation des politiques publiques qui pourraient être perçues comme tribalistes par les populations.

Comme vous l’avez sans doute vu dans le reportage, il y a une partie de la population qui est frustrée par un contexte socio-politique où la question tribale est omniprésente. Certaines zones vertes seraient démolies et d’autres non à cause du tribalisme institutionnalisé par la communauté urbaine de Yaoundé i.e. par l’Etat. Accusations graves au regard même de la Constitution qui malgré ses évolutions régressives de 1992 à 1996, continue à considérer le Cameroun comme une République une et indivisible. Pour tout comprendre, un bon repère serait la brève histoire du tribalisme au Cameroun de l’indépendance à nos jours d’Eugene Fonsi.

Mon péché en tant que journaliste est d’avoir choisi d’illustrer, ne serait-ce que par des témoignages l’idée que les Camerounais et leurs autorités se font de la question tribale, sur une échéances donnée à un moment donné. Ma question était simple… La politique d’assainissement des bas-fonds de Yaoundé suit-elle une logique tribale ou non ?

Les déguerpis disent qu’ils ont été chassés parce qu’ils sont allogènes, des étrangers ou si on tient à tout prix à avoir des références «les prédateurs venus d`ailleurs» comme les ont qualifiés les auteurs de la Déclaration des Forces vives du Mfoundi après les émeutes de février 2008. Un document mit à l’index à l’époque pour son caractère stigmatisant qu’avait signé, entre autres leaders politiques considérés comme autochtones, le délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé Gilbert Tsimi Evouna.

Neuf ans plus tard, les populations n’ont pas oublié cet épisode. Et puis, il y a eu d’autres évolutions entre temps dont les moins importantes ne sont pas les casses du quartier marécageux de Ntaba et la restructuration du plus grand marché de la ville, le marché Mokolo. Les accusations de tribalisme fusent contre le même homme. A tort ou à raison, soit dit en passant. J’ai voulu lui poser la question, mais les contraintes de bouclages ne m’ont pas permis de suivre toute les étapes du administratif mis en place pour recueillir son point de vue.

Revenons sur les questions éditoriales.

Au sein de la rédaction, mes contradicteurs m’ont dit que je faisais, à travers mon reportage, l’apologie du tribalisme. Que demanderais-tu au délégué si tu étais devant lui, m’a fait l’un d’entre eux. Lui demanderais-tu s’il est tribaliste ? Oui ! Exactement, je lui demanderais exactement cela. Il n’a pas compris et je vous avoue que j’ai du mal à comprendre le point de vue qui voudrait qu’il y ait des thèmes tabous dans l’espace publique d’une République. Je ne pense pas que le tribalisme soit spécialement un thème difficile.

Pourquoi ?

De mon point de vue, promouvoir le tribalisme aurait été :

  • de donner la parole aux tenants d’une idéologie tribaliste et s’en tenir à leur point de vue ;
  • écrire un commentaire sui generis qui fait la promotion d’un groupe ethnique au détriment d’un autre ;
  • ne pas faire mention des politiques publiques qui sont perçues comme tribalistes ;
  • et ne pas faire la démarche vers les autorités compétentes pour avoir leur point de vue sur les accusations dont ils font l’objet.

Vous le voyez mon point de vue est que ce n’est pas en ne parlant pas du tribalisme ou du racisme qu’on le combat. Il faut en parler et pas seulement en se limitant dans des généralités du type Je suis contre le tribalisme. Il faut pouvoir dire, voici le tribalisme – en termes de perception de ceux qui le ressentent – et essayer de comprendre les motivations de ceux qui poseraient des actes jugés stigmatisant. Je ne crois pas que c’est parce que les journalistes vont se cacher derrière une responsabilité sociale anesthésiante qu’ils feront effectivement preuve de responsabilité envers la société qui les porte. Notre responsabilité est de faire l’intermédiation entre les points antagonistes au sein de la société afin d’éviter que les mésententes ne se transforment en violence.

Le pire n’est sans doute pas que des propos tribalistes, les politiques tribalistes et les accusations de tribalisme soient jetés en l’air … Le pire c’est que l’on fasse comme si le tribalisme n’existe pas ; que les journalistes se refusent d’en parler avec les outils de déontologie et la distance nécessaires qui fondent en définitive leur métier.